Christian Hennion et Dominique Simonnot, deux journalistes de Libération ont travaillé à 20 ans d’intervalles sur cette justice rapide, parfois expéditive, celle des tribunaux correctionnels qui jugent ces prévenus pris en flagrant délit.
Palais de justice d'Amiens (c.c damien roué)
En flag
« Les flags, c’est la justice au quotidien, la justice des petits délinquants, des pauvres, à la chaîne (…), la plus dure, la plus révélatrice » écrit Gilles Minet en 1976 dans un article de Libération. « Un laminage quotidien qui fournit aux prisons une grande partie de sa clientèle… ». Et pourquoi ? Christian Hennion, autre journaliste de Libération en 1976 en dresse la liste dans son livre Chroniques des Flagrants délits : « vagabondage, grivèlerie, vol de voiture, vol à la tire, vol à la roulotte, vol au poivrier, agression, outrage à la pudeur, rébellion, infraction à arrêté d’expulsion, infraction à interdiction de séjour, petits casses ratés, violences à agents ». Le journaliste vient alors de passer huit mois à observer la 23e chambre correctionnelle de Paris tourner à plein régime : 6.000 prévenus, une trentaine de relaxes, 4.000 ans de prison ferme. Il en tire 80 comptes-rendus d’audience.
Pas de chroniques judiciaires à proprement parler, mais une série de dialogues. Des petites pièces de théâtre tragicomiques où l’épilogue vient rappeler qu’on ne joue pas. Quatre mois ferme, quinze jours de prison avec sursis, quinze mois de prison dont cinq avec sursis, dix mois, dont trois fermes, huit mois fermes… La litanie des peines et des audiences étourdit. Christian Hennion continuera à suivre les flags une dizaine d’années pour Libération.
Réprimer la déviance
Si aujourd’hui le terme a presque disparu, c’est que depuis la loi Perben I de septembre 2002, les flags sont devenus des CI. La CI, c’est la comparution immédiate, autrement dit la possibilité de passer devant le tribunal presque immédiatement si le prévenu encourt de six mois (en cas de délit flagrant) à dix ans d’emprisonnement. Dominique Simonnot a pris la suite de Christian Hennion sur les bancs des tribunaux correctionnels pour Libération.Elle aussi en a tiré un livre : Justice en France, une loterie nationale. Une compilation de ses Carnets de justice publiée depuis 1998 dans les colonnes de Libération. Elle est depuis passée au Canard Enchaîné où elle tient la chronique « Coups de barre ».
Autre temps, autre approche, la journaliste livre une version policée de ses chroniques. À la différence de Christian Hennion : « Youssef est agité de tics », « Tony regarde ailleurs », « Mudrogan murmure l’air honteux », « le juge gronde » et « l’avocat tempête ». Les sciences sociales en prennent un coup, le lecteur retrouve des codes qu’il connaît. Mais une nouvelle fois, il est face à cette justice ordinaire. Ces prévenus d’origine modeste, ces peines qui n’ont rien à voir entre elles, illustrant la citation en préface du juriste Henri Leclerc :
« On ne réprime pas à la mesure d’un tort causé, mais au degré de déviance ».
Les prévenus viennent à peine d’être extraits de garde à vue ou croupissent dans la souricière du tribunal depuis le petit matin. Ils sont sales, souvent à peine dégrisés et n’ont pas pu se laver depuis 24, 48 ou 72 heures. Ils n’ont parfois eu que quelques minutes pour préparer leur défense avec l’avocat commis d’office. Sitôt passée la porte de la salle d’audience, le procureur les attend au tournant : « Bon, on va taper plus fort, il n’y a que ça à faire ! 15 mois ! ».
Par Brendan Troadec
À lire sur le sujet :
- Dominique Simonnot, Justice en France, une loterie nationale, Éditions la Martinière, 2003.
- Christian Hennion, Chronique des Flagrants délits, Stock, 1976
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